L’espoir

par Krista Tippet sur Orion Magazine

Il y a quelques années, j’ai commencé à demander parfois, à la fin de mes conversations : « Qu’est-ce qui vous désespère et où trouvez-vous de l’espoir ? » Il s’avère que les réponses aux deux parties de cette question sont plus souvent conjointes qu’opposées. Le puzzle que nous sommes, les contradictions qui vivent en chacun de nous et en ce moment que nous habitons – voilà le creuset de mon espoir.

Je dois dire que pour moi, l’espoir est distinct de l’idéalisme ou de l’optimisme. Il n’a rien à voir avec les vœux pieux. C’est un muscle, une pratique, un choix : vivre les yeux et le cœur ouverts dans le monde tel qu’il est et non tel que nous le souhaitons. Nous sommes des créatures étranges. Nous masquons la peur par la rage, et le désespoir par la violence. La croissance est toujours désordonnée, jamais linéaire. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour vivre en notre nom, Homo sapiens : les créatures qui sont sages. Et il se peut que nous n’y arrivions pas. Pourtant, je sais que dans la vie et la société, la sagesse émerge précisément dans les moments où nous devons tenir des réalités apparemment opposées dans une tension et un jeu créatifs : pouvoir et fragilité, naissance et mort, douleur et espoir, beauté et rupture, mystère et conviction, calme et férocité, le mien et le vôtre.

Nous sommes dans un de ces moments intermédiaires en tant qu’individus, en tant que nations, en tant qu’espèce. Je m’accroche à un vers d’un poème de William Stafford, sur la vocation : « Your job is to figure out what the world is trying to be » (Votre travail consiste à comprendre ce que le monde essaie d’être.) Vous pourriez faire valoir de façon convaincante que l’humanité est en train de reculer. Mais l’espoir m’appelle à m’occuper aussi du monde qui veut naître. Notre étrangeté se traduit par la laideur, la trahison et la destruction, et elle se traduit par la bravoure, la créativité et une dignité insondable. Je vois de belles vies, partout, qui cousent de nouvelles relations à travers la rupture, qui saisissent une nouvelle vie à partir de la perte.

L’espoir m’étonne aussi dans le récit plus vaste de notre siècle, de l’apprentissage et de la sagesse qui se déploient juste à côté de notre dysfonctionnement et de notre déchéance mieux connus. Dans la compréhension de soi comme dans la planification sociale et la science, nous travaillons avec des mots et des disciplines qui n’existaient pas à ma naissance et d’autres qui n’ont qu’un siècle : neuroscience, psychologie sociale, écosystème, biome, changement tectonique. De nos jours, les biologistes évolutionnistes redécouvrent la superpuissance de l’humanité en matière de coopération et redéfinissent ainsi la manière dont le plus apte pourrait survivre, principe autour duquel le monde occidental s’est organisé.

Dans ce monde, nous avons avancé en divisant nos corps, nos esprits et nos esprits, nos territoires et nos connaissances. Nous avons perfectionné les systèmes permettant de faire un « nous » et un « autre » ; nous avons fait du monde naturel un « autre ». Aujourd’hui, à la frontière de la vision intérieure de notre cerveau, nous saisissons de nouvelles formes d’agence pour changer. En explorant le cosmos, nous comprenons que nous vivons dans des corps imprégnés de poussière d’étoile et que nous avons habité des écosystèmes tout en nous organisant autour de certaines parties. Pour nous, toute la vie se révèle dans son insistance sur l’intégralité : l’interaction organique entre nos corps, le monde naturel, les vies que nous créons, le monde que nous créons.

Nous devrions nous permettre de faire une pause, de temps en temps, et de prendre un long souffle collectif étonné. Culturellement, nous sommes la génération de notre espèce qui redéfinit les fondements élémentaires de l’homme comme la communauté, le mariage et le genre. Nous sommes, en d’autres termes, en train de nous replier sur le sentiment tribal et l’organisation. En même temps, vie par vie, nous adoucissons l’un ou l’autre qui a défini chaque humain depuis sa naissance. Et malgré notre prise de conscience du pouvoir qu’ont les technologies numériques de nous diviser et de nous isoler, cela aussi est vrai : nos technologies nous ont donné, pour la première fois dans l’histoire de notre espèce, les outils nécessaires pour commencer à penser et à agir en tant qu’espèce.

Nous sommes des créatures étranges, me rappelle l’espoir : encore et toujours, nous sommes faits par ce qui nous briserait.

Krista Tippett est la fondatrice et la directrice générale du projet On Being, l’hôte de On Being and Becoming Wise, et la conservatrice du projet The Civil Conversations. Krista Tippett a reçu le prix Peabody, est l’auteur à succès du New York Times et a reçu la médaille nationale des sciences humaines. Elle a été la Mimi & Peter E. Haas Distinguished Visitor de 2019 à l’université de Stanford.

Ses livres précédents sont intitulés Becoming Wise : An Inquiry into the Mystery and Art of Living (2016) ; Einstein’s God : Conversations about Science and the Human Spirit (2010) et Speaking of Faith : Why Religion Matters and How To Talk About It (2007).

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